Red dead redemption: interview du boss de rockstar
Publié le 18.04.2010 à 01:40 par Napitix
Interview que vous pourrez retrouvez
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- Vous avez récupéré Red Dead Revolver chez Capcom. Comment voyez vous le jeu maintenant ? Quelles sont les clés à retenir pour comprendre votre approche sur Red Dead Redemption (RDR) ?
- On a récupéré un projet à moitié fait chez Capcom : ils le développaient et étaient sur le point de le laisser à Angel Studios juste avant que nous ne rachetions ce studio pour en faire Rockstar San Diego. Alors on l'a terminé, et restylé selon nos propres goûts - bien que nous n'avons pas vraiment pu influencer le design fondamental de RDR.
L'idée fondatrice du jeu était d'en faire un jeu de tir dans un monde à arpenter, avec la sensibilité d'un jeu de combat. C'était très intéressant et ils l'avaient assez bien fait.
Mais nous, on aime les jeux dans un monde ouvert et en reprenant RDR nous sommes littéralement tombés amoureux du Far-West. Ainsi, nous avons souhaité conserver le gameplay des séquences de gunfight qu'on avait adoré. Pour le reste, on a tout repris pour en faire un jeu vaste et... épique.
- C'est un genre qui a été beaucoup abordé au cinéma, mais le Western reste très rare dans les jeux vidéo. Pourquoi, et quelle réponse apporte Red Dead Redemption ?
- C'est probablement dû à des raisons technologiques. Jusqu'à maintenant, il n'était pas vraiment possible de faire un jeu comme RDR, avec ses vastes contrées à ciel ouvert, dans un écosystème complexe et vivant, avec une large palette de personnages, des quêtes annexes, et que le tout fonctionne ensemble.
Cela ne fait que peu de temps que la technologie permet de créer un environnement naturel convaincant. Avant, les jeux en environnement rural auraient semblé un peu ridicules, ou très petits. Les contraintes étaient trop importantes, et il n'était pas possible de faire des chevaux, des diligences, ou des lassos - tant d'aspects pourtant fondamentaux pour le western. En plus de ça, on ne pouvait pas montrer d'émotions sur le visage des personnages.
Tous ces facteurs combinés rendaient le genre Western difficile à mettre en oeuvre, et donnaient un côté un peu absurde... Il n'y a rien de pire que d'avoir une histoire moyenne dans un jeu moche ou limité. Alors que dans le cinéma, il suffit d'une caméra et d'un décor pour rendre l'ensemble crédible.
- De votre point de vue, les jeux de Western que l'on connaît avaient-ils tout faux ?
- Non, sans aller jusque là ! Faire des jeux c'est un exercice très difficile, et qui que ce soit qui arrive à finir la création d'un jeu mérite notre respect. C'est simplement que les gens ont essayé de faire quelque chose qui était fondamentalement impossible.
Ce projet a été long, exténuant, et complexe pour nous malgré notre grande expérience dans les jeux à monde ouvert. Et pourtant, nous avons mis une grosse équipe sur RDR, et utilisé notre technologie RAGE.
Red Dead Redemption est un jeu qui va faire référence dans le genre du Western, juste parce qu'il était techniquement impossible de le faire un an plutôt - abstraction faite des anciennes générations de console.
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- En fait, Red Dead Redemption est un vrai paradoxe : il est à la fois original et instantanément familier à la plupart des joueurs. Cette contradiction est-elle une force, ou a-t-elle été une difficulté ?[/b]
- D'un point de vue 'design', ça a été une force. En tant que créateurs de jeux notre but est simple : laisser s'exprimer nos fantaisies basées sur le concept du Far West. Il y a tant d'images, de moments, de personnages typés, et toute une légende autour de ce moment de l'Histoire qu'il a été vraiment sympa de jouer avec et de les assembler pour faire un jeu cohérent.
Pour ce qui est de la technique, ça a été un cauchemar total car nous voulions inclure énormément d'éléments - pourtant essentiels au jeu. Je peux vous dire que nous avons de sacrées migraines pour le rendre fun et beau : une physique des gunfights incroyable, des chevaux magnifiques, le lasso, les diligences, les animaux, et tout le reste...
Pour que le jeu soit fun et immersif, il nous a fallu inclure une large palette de classiques du western : face-à-faces, duels, attaques de diligences, gunfights sur des trains, hold-ups, avis de recherche et récompenses... C'est la grande force du jeu, mais intégrer tout cela dans un monde ouvert a été un vrai défi.
- Les jeux Rockstar sont bourrés de références culturelles très vastes. Mais Red Dead Redemption semble au contraire très centré sur son propre sujet.
- Un de nos gros objectifs fut d'avoir une continuité tout au long du jeu : il fallait que les dialogues, le design des personnages, la physique, la musique et le monde en lui-même s'intègrent tous les uns aux autres. Cela permet au joueur de se sentir complètement immergé dans ce monde, car tout a du sens.
D'autre part, avec les graphismes des personnages qui ont fait un bond en avant il devient obligatoire de développer des personnages plus complexes et plus profonds. Ainsi, nous voulions que RDR donne au joueur l'impression de faire partie de ce monde - une vaste étendue du Far West, qui subit des changements sociologiques constants.
Ceci étant dit, le jeu devait se dérouler en 1910-1911, et il nous a fallu trouver une façon de parler précise pour les personnages : suffisamment claire et rapide pour permettre au jeu d'avancer, tout en évitant d'être anachronique - trop moderne ou ironique.
C'est clairement un tout autre challenge que de créer un gangster New-Yorkais en 2009.
- Vous vous impliquez toujours dans l'écriture de vos jeux et à mon sens, GTAIV et son DLC sont les plus aboutis dans l'histoire de Rockstar. Comment a évolué votre approche de l'écriture au fil du temps ? Red Dead Redemption a-t-il subi un traitement différent de votre part ?
- Sur GTAIV, j'ai eu la chance de pouvoir masquer mes faiblesses grâce aux talents d'écritures de mes co-scénaristes. Je pense notamment à Rupert Humphries et Lazlow, qui avaient respectivement la responsabilité des dialogues et des médias in-game.
J'ai toujours eu la même ligne de conduite dans mon rôle de scénariste de jeux vidéo : soutenir le gameplay tant que je peux, afin de permettre au jeu d'avancer et de rendre l'expérience intéressante. Mais forcément, notre processus d'écriture a évolué car la technologie permet dorénavant d'intégrer énormément de dialogues pendant les missions - ce que nous ne pouvions pas faire sur PS2 car la machine était sollicitée pour afficher le monde ouvert en streaming.
Sur PS2, il fallait réduire les dialogues au strict minimum bien que nous cherchions déjà à leur donner de la profondeur et de la complexité. En fait, nous nous basions sur les mêmes principes mais nous disposons aujourd'hui de moyens plus conséquents pour faire aboutir nos idées.
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- Les derniers travaux de Rockstar se sont orientés sur des aspects très sombres et ont touché des sujets comme très peu de jeux l'ont fait avant : The Lost And Damned est particulièrement lugubre, et montre étonnamment la nudité masculine... de face. The Ballad Of Gay Tony montre un personnage gay très mature, qui évite l'écueil de la moquerie bête et méchante. Est-ce consciemment que vous abordez ces sujets sensibles ? Red Dead Redemption abordera-t-il les moments les plus sombres du Far West ?[/b]
- Des sujets sensibles ? Pas du tout. A aucun moment nous n'avons voulu être border-line. Nous faisons simplement des jeux qui nous semblent intéressants, et qui sont amusants. Un jour ce jeu s'appelle ManHunt, un jour c'est San Andreas, un jour c'est Table Tennis...
La Haute Définition nous a apporté une capacité à faire des jeux plus complexes. C'est une complexité pas seulement visuelle, mais aussi scénaristique. Désormais, on peut aborder les deux visages d'un personnages au lieu d'un seul - on peut donc montrer les faiblesses de quelqu'un qui se croit très fort et nuancer nos personnages.
Avec RDR, nous voulions faire un jeu énorme, épique, et nous avons pris en considération entre les poncifs du Far West et sa réalité plus dure : combien de gens se sont cachés derrière les mythes et les légendes pour justifier d'une horrible brutalité ?
En même temps, nous avons voulu travailler sur la fin de cette période qui nous donnait beaucoup de possibilités : le Far West était en train de basculer de la réalité à la légende, nous donnant ainsi une large palette de choses à faire et à voir dans ce monde.
- L'approche du monde ouvert de Red Dead Redemption est très différente de celle de GTAIV. Il se base sur l'apparition aléatoire d'évènements pour mieux rythmer l'aventure. Pourquoi être partis dans cette direction ?
- C'était nécessaire. Dans GTA, l'environnement urbain procure au joueur une grande quantité d'éléments avec lesquels interagir en étant juste là, à n'importe quel endroit : personnages, voitures, etc. sont présents en permanence autour du joueur.
Quand on a commencé à créer les différentes sections du monde de RDR, nous avons été rattrapés par la réalité de l'Ouest Sauvage : il n'y a rien à y faire. Alors Christian Cantamessa, notre Lead Designer, et son équipe ont commencé à développer un système pour remplir ce monde. Il fallait y mettre du contenu pour stimuler le joueur, et nous avons choisi qu'il apparaisse aléatoirement pour garder un côté organique mais nouveau. Je trouve d'ailleurs que ceci amène le gameplay à monde ouvert à un niveau supérieur.
- Avez vous dû adapter l'écriture du scénario à ces évènements aléatoires ?
- Il nous a fallu développer un nouveau système de dialogues, et faire en sorte que le personnage de John Marston soit suffisamment ambigu pour ne pas savoir si il est un tueur de sang-froid avec un coeur tendre, ou un homme bon qui a eu la malchance de grandir dans un environnement impitoyable. Ainsi, quelque soit le point de vue du joueur sur John Marston, il fallait que les dialogues soient cohérents avec ces deux idées.
- Beaucoup de journalistes ont qualifié RDR de 'GTA au Far West'. Soutenez vous la comparaison ?
- La plupart des membres clés de l'équipe de GTA a beaucoup travaillé sur RDR dont Leslie Benzies, le Producteur, et Aaron Garbut, le Directeur Artistique. Christian, le Lead Designer, est passé du studio North à San Diego au tout début du projet après avoir travaillé sur ManHunt et San Andreas. Alors au final, ce n'est pas une si mauvaise manière de décrire le jeu : c'est un monde ouvert qui profite de l'expertise d'une des meilleures équipes au monde pour ce type de projet.
Nous avons mis du coeur dans chaque épisode de GTA, et nous l'avons fait aussi pour RDR. On sait comment faire un GTA, même si ce n'est jamais facile : c'est toujours beaucoup de travail. Mais Red Dead Redemption est aussi un jeu à part entière.
- Rockstar réécrit l'histoire du XXème siècle Américain dans ses jeux... Red Dead Redemption explore les changements du début du siècle, LA Noire montre la face cachée de l'Amérique d'après la Seconde Guerre Mondiale, Agent se déroulera pendant la Guerre Froide des années '60 - '70, Vice City est en plein dans les années '80, San Andreas dans la culture des gangs des années '90, et GTAIV se penche sur les questions d'immigration à l'aube du XXIème siècle. Cette ligne directrice est elle voulue de votre part ?
- Nous ne le faisons pas vraiment consciemment mais c'est inévitable : nous faisons tout pour ne pas nous répéter entre nos franchises, et nous recherchons en permanence des nouveaux sujets à aborder. Nos jeux basés sur la narration s'inspirent de l'Histoire de l'Amérique, car il y a beaucoup de choses à en dire.